INTERVIEW | Sébastien Rouland

INTERVIEW | Sébastien Rouland

Donner Siegfried à Versailles, n’est-ce pas une folie ?, déclare-t-il d’emblée. Stimmt : rien de plus inopiné, voire incongru. Les stéréotypes qui entourent l’un et l’autre n’admettent que très mal pareille extravagance : d’un côté, la tradition française, l’Académie de Musique du Roi-Soleil, la somptuosité écrasante de ce dernier glorifiée à maintes reprises dans ces lieux ; de l’autre, la forteresse wagnérienne, la Gesamtkunstwerk, un répertoire – que dis-je, une tradition, quintessence de la beauté lyrique aux appas célestes et à l’herméticité sacralisante. Et pourtant, à bien regarder de près, une chose n’est pas complètement dissociée de l’autre.

Vue de la scène de l’Opéra Royal. ©Agathe Poupeney

Pour preuve, Sébastien Rouland, directeur musical du Saarländischen Staatstheaters et à la tête de la version concertante du 3e volet de la Tétralogie proposée à l’Opéra Royal de Versailles le 25 mai prochain, évoque, avec une espiègle délectation, les multiples inspirations du maître de Bayreuth puisant, pour beaucoup… dans le grand opéra à la française. « Il suffit de lire la partition pour les y déceler », nous confie-t-il. Et bêtise serait de croire que les influences transalpines n’y figurent pas non plus (n’oublions pas sa débordante admiration pour Bellini). C’est précisément dans la capacité à s’inspirer de sources multiples plus ou moins rapprochées des uns et des autres et à bâtir une œuvre aussi belle que celles l’ayant influencé prises individuellement qui élève Wagner au rang de génie. Conjecture qui a de quoi dérouter puristes et non puristes, croyant dans une inspiration imperméable à ce qui se faisait de mieux dans le XIXe siècle, mais qui ouvre la possibilité d’aborder les pièces wagnériennes selon une autre grille de lecture non dépourvue d’intérêt.

Illustration de presse datant de 1863 de La Muette de Portici d’Auber. Dès 1829, cet opéra connut un irrésistible succès à Berlin, Vienne et Leipzig, ville natale de Wagner (disponible sur Gallica)

Cette hypothèse émerge tout naturellement de ce violoncelliste ayant commencé sa carrière avec… Wagner. Maastricht, 1996 : le voilà propulsé au pupitre, remplaçant au pied levé l’un de ses mentors, Marc Minkowski – « c’est avec lui que je me suis fait mes armes », déclare-t-il avec reconnaissance – pour une représentation de Der fliegende Holländer. S’ensuivit une longue collaboration avec l’opéra de Lucerne en tant que premier chef invité, des expériences aux quatre coins de la planète, jusqu’à son arrivé à la capitale du Land de la Sarre. Défense de croire qu’il s’est limité au répertoire germanique : même s’il a construit une très grande partie de sa carrière outre-Rhin (« les possibilités s’y présentent plus facilement, ne serait-ce que par le fait qu’il s’agit le pays au monde dénombrant le plus grand nombre de maisons d’opéra ! »), Sebastian Rouland s’est appliqué à démontrer que fortes fortuna juvat et, de ce fait, a tout testé : la variété de son portefeuille déconcerte. De Cavalli à Debussy, en passant par Hindemith, Donizetti et Britten, en faisant un saut à Adam et Poulenc, la liste force l’admiration. Et l’une de ses nombreuses fiertés est de justement avoir osé certaines initiatives jadis peu tolérables par les plus orthodoxes, quitte à se faire apposer l’étiquette de transgresseur. Ainsi le Platée de Rameau (en l’occurrence à Wiesbaden), joué avec les moyens à disposition, sans forcément chercher à reproduire une façon de faire qui a certes donné satisfaction mais qui n’est en aucun cas la seule. « Là où nous étions, il n’était pas question qu’on utilise des instruments d’époque ! Bien que je reconnaisse toute la contribution que le travail sur instrument ancien peut apporter, pour autant, fallait-il vraiment ne pas essayer ? L’enthousiasme du public nous a donné raison », lance-t-il avec enthousiasme.

La suite de sa carrière a été édifiée en s’appuyant sur la certitude que la reproduction d’un schéma couronné par l’usage n’est pas systématiquement la solution la plus pertinente à exploiter. La contrepartie à assurer ? « Une discipline de travail non négociable » lance-t-il du tac au tac, « commençant par le chef, à qui un rôle encore plus central revient ». Le produit recherché d’un tel travail ? Une démarche stylistique soignée. A cela, rajoutez une bonne dose d’humilité, mais qui en aucun cas se doit d’être pétrifiante, au risque, en dépit de la noblesse du sentiment, d’être hautement contreproductive. « Si je me laisse seulement impressionner par la grandeur d’une partition comme celle du Rheingold, je reste devant sans rien faire ! On reconnaît l’extrême beauté du travail, mais on ne se laisse pas tétaniser par : il a été accompli avant tout pour être joué », déclare-t-il.

Les expériences d’hybridation menées dans sa carrière ont conduit Sébastien Rouland à avoir, dans le contexte de la production de Siegfried une perspective de la beauté du chant wagnérien qui peut, une fois de plus, surprendre les plus attachés aux clichés. « A quoi bon crier ? » interroge-t-il. Qu’attend-il donc ? « Quelque chose qui ne renie pas la beauté du canon historique, mais qui n’y est pas forcément identique. Selon les cas, une voix ronde, dans un style qui se rapproche de la déclamation, ornée de couleurs italiennes ». Fidèle à lui-même, il insiste sur l’idée de départ, en la déclinant sous toutes ses formes. « Si je m’amuse à faire à Sarrebruck, ou ailleurs, comme à Bayreuth – où la la fosse se situe sous la scène – avec les 16 premiers violons initialement prévus, les chanteurs sur scène ne feront plus que du playback. A chaque salle, distribution et situation ses particularités, et à nous de les respecter. » Faire autrement n’enlève rien au côté universel de l’ouvrage – qui, lui, doit demeurer –, mais permet à chacun de se l’approprier. « En somme, brisons ces barrières, souvent psychologiques et d’arrière garde, restrictives à souhait et qui ne s’inscrivent plus dans la réalité d’aujourd’hui, selon lesquelles il faut être à Bayreuth pour entendre un bon Wagner ». Nous prenons cela pour une promesse : rendez-vous le 25 mai.

(Pour plus d’informations) Lien vers le site de l’Opéra Royal de Versailles : Siegfried – Opéra Royal de Versailles (2025)

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